Oded Bar-Or, M.D.
SPORTS SCIENCE EXCHANGE
RÉACTIONS DES ENFANTS À L'EXERCICE PAR TEMPS FROID: INCIDENCES SUR LA SANTÉ
SSE n° 51, volume 7 (1994), numéro 4
Oded Bar-Or, M.D.
Children's Exercise & Nutrition Center
Université McMaster et hôpital Chedoke-McMaster, Hamilton (Ontario)
Membre du Comité d'examen en médecine sportive du Gatorade Sports Science Institute
POINTS PRINCIPAUX
1. Le rapport entre la surface et la masse corporelles des enfants étant plus élevé que chez les adultes, les enfants sont plus exposés que les adultes aux pertes de chaleur par temps froid.
2. Une perte excessive de chaleur chez les enfants se remarque plus souvent lors des activités aquatiques en raison de la grande conductivité thermique de l'eau.
3. Lors des activités sur terrain, une production plus importante de chaleur métabolique et une plus grande vasoconstriction cutanée viennent contrebalancer cette la surface corporelle relativement importante.
4. Les enfants de petite taille et ceux qui ont peu de tissu adipeux sous-cutané sont particulièrement exposés aux risques d'hypothermie et de gelures.
5. L'air froid exacerbe l'asthme induit par l'exercice.
INTRODUCTION
L'exercice et une chaude température entraînent tous deux un stress thermique. Leur effet synergique, s'il est excessif, peut entraîner une hyperthermie et nuire à la performance physique ou aux facultés cognitives, aux dépens de la santé et du bien-être de l'enfant. Par contre, si l'organisme est exposé au froid, la thermogenèse induite par l'exercice lui permettra de résister à son refroidissement. Par conséquent, une hypothermie (température interne égale ou inférieure à 35 ºC ou 95 ºF) est plus susceptible de se produire au repos que pendant un exercice. De fait, lors d'activités modérées et intenses par temps froid, le taux de chaleur métabolique dépasse souvent celui de la perte de chaleur dans l'environnement. Il en résulte que la température interne augmente souvent pendant l'exercice, même par temps très froid. Le hockey sur glace en est un exemple (MacDougall, 1979; Paterson et coll., 1977) : la production métabolique de chaleur chez l'enfant est tellement élevée qu'il transpire abondamment, même s'il est légèrement vêtu.
Ce n'est toutefois pas le cas quand il s'agit d'une activité aquatique. Même si l'air est considéré comme un isolant thermique efficace, l'eau est un excellent conducteur. La chaleur massique de l'eau (quantité de calories nécessaire pour augmenter d'un degré 1 g d'une substance donnée) est environ 4 000 fois plus élevée que celle de l'air, et sa conductivité thermique, environ 25 fois plus élevée que celle de l'air. Pendant une séance de natation, la perte de chaleur corporelle peut donc être de 25 à 30 fois plus rapide que celle d'une séance de cyclisme ou de course à des températures ambiantes équivalentes (Nielsen, 1978). Plus l'écart de température entre la peau et l'environnement est élevé, plus la perte de chaleur est élevée.
L'épaisseur du tissu adipeux sous-cutané est un autre important facteur dont il faut tenir compte. Comme le tissu adipeux est un isolant thermique efficace, plus il est épais, plus la chaleur corporelle est maintenue, surtout dans l'eau (Bergh et coll., 1978; Keatinge, 1978), ce qui est particulièrement vrai si la peau est moins irriguée par le sang, réduisant ainsi de façon importante la convection de chaleur entre les parties internes et externes de l'organisme. La perte de chaleur corporelle est alors limitée par la lenteur de la conduction dans le tissu adipeux.
Le taux de perte de chaleur corporelle dépend aussi de la surface corporelle. Plus une personne est petite, plus la surface par unité de masse corporelle est importante. Par exemple, le rapport entre la surface et la masse corporelles d'un enfant de 8 ans qui mesure 1,28 m (4 pi 2 po) et pèse 25 kg (55 lb) est de 380 cm2/kg (26,7 po2/lb). En comparaison, celui d'un adulte de 20 ans mesurant 1,77 m (5 pi 8 po) et pesant 64 kg (141 lb) est de 280 cm À partir de cette simple différence géométrique, en supposant que les réactions physiologiques les mêmes, il est possible d'établir que, par temps froid, enfant perdra plus rapidement de la chaleur (par convection, conduction et radiation) que l'adulte.
BILAN DE LA RECHERCHE
La première étude comparative sur les différences associées à l'âge entre les réactions physiologiques à un exercice sous basse température a montré que les enfants sont considérablement désavantagés. Une étude de Sloan et Keatinge (1973) a été menée auprès de filles et de garçons de 8 à 19 ans ayant nagé à une vitesse de 30 m/s (environ 100 pi/s) dans une piscine dont l'eau était à 20,3 ºC (68,5 ºF). Ils faisant tous partie d'un club de natation et étaient d'excellents nageurs. Le taux de refroidissement du corps s'est avéré inversement proportionnel à l'âge; même si, à la fin de la séance de natation, la température buccale des jeunes adultes n'avait pas diminué ou très peu, celle de la plupart des plus jeunes participants avait diminué de 2 ºC (35,6 ºF) ou plus. De plus, les participants plus âgés ont nagé pendant environ 30 min, tandis que les plus jeunes ont dû être retirés de l'eau après 18 à 20 min en raison d'un inconfort manifestement associé au froid. La différence dans le taux de refroidissement corporel pourrait s'expliquer en grande partie par le rapport entre la surface et la masse corporelles et, inversement, par l'épaisseur du pli cutané.
Il a fallu attendre presque 20 ans avant qu'une autre étude compare les réactions des enfants et des adultes à l'exercice sous basse température. Smolander et coll. (1992) ont exposé des garçons de 11 et 12 ans ainsi que des hommes de 19 à 34 ans à une température de 5 ºC (41 ºF) pendant 60 min. Les sujets portaient des shorts, des chaussettes et des chaussures de sport. Ils se sont tout d'abord assis 20 min dans une chambre froide, puis ils ont fait 40 minutes de bicyclette à 30 % de leur consommation maximale d'O Se fondant sur les résultats déjà obtenus par Sloan et Keatinge, les auteurs ont émis l'hypothèse que le taux de refroidissement corporel devrait être plus élevé chez les enfants que chez les adultes. Les résultats ont été étonnants; même si la température rectale des adultes est restée la même pendant les 60 minutes, celle des garçons avait légèrement augmenté. Pour compenser le rapport plus élevé entre la surface et la masse de leur corps (320 vs 250 cm De plus, la vasoconstriction périphérique de leurs membres était plus efficace que celle des hommes, ce qu'indique la diminution plus importante de la température de la peau des enfants. Cette capacité des enfants de compenser une surface corporelle par masse unitaire plus importante a aussi été montrée dans des études dans le cadre desquelles des enfants et des adultes se sont reposés à des températures plus modérées, soit de 16 à 20 ºC ou 60,8 à 68 ºF (Araki et coll., 1980; Wagner et coll., 1974).
Même s'il faut poursuivre la recherche pour pouvoir évaluer les réactions des enfants à toutes sortes d'autres activités sous d'autres basses températures, il est possible de tirer les conclusions suivantes : 1. En dépit d'une surface corporelle par masse corporelle plus importante, les garçons peuvent maintenir leur température interne dans un milieu dont la température est aussi basse que 5 ºC (41 ºF) pendant au moins 1 h, en combinant repos et exercice modéré.
2. Lors d'un exercice (natation, water-polo, aquaforme, etc.) en eau froide, les enfants sont nettement désavantagés par rapport aux adolescents et aux jeunes adultes en raison de leur moins bonne capacité à prévenir l'hypothermie. Plus l'eau est froide, plus ils sont désavantagés.
3. Plus l'enfant est petit, plus son corps se refroidit rapidement dans l'eau.
4. Même nous ne disposons d'aucune donnée sur la capacité thermorégulatrice des enfants aux températures ambiantes inférieures à 5 ºC (41 ºF), l'auteur affirme que dans certaines conditions ambiantes difficiles, la capacité de l'enfant à contrebalancer le rapport élevé entre sa surface et sa masse corporelles sera réduite par l'important écart de température entre la peau et l'air, ce qui entraîne chez lui une baisse excessive de la température interne.
Considérations en matière de santé
Les trois grands effets du froid qui nuisent à l'enfant qui fait de l'exercice sont l'hypothermie, les gelures et la bronchoconstriction, et le risque est particulièrement élevé chez certains groupes d'enfants et de jeunes lorsqu'ils sont exposés au froid (voir l'étude de Bar-Or, 1986).
Hypothermie. Les personnes les plus à risque d'hypothermie sont celles qui souffrent de sous-nutrition, ce qui entraîne un amincissement du tissu adipeux sous-cutané agissant comme isolant (Brooke, 1973). Les personnes atteintes de fibrose kystique et d'anorexie mentale en font partie. Les recherches à ce sujet (Davies et coll., 1978; Mecklenburg et coll., 1974; Wakeling et Russell, 1970) laissent entendre que la température interne minimale moyenne au repos, qui est d'environ 36 ºC (96,8 ºF) dans un milieu thermiquement neutre, diminue davantage lorsqu'ils se reposent dans un milieu froid (et augmente lors d'une exposition à la chaleur). Comme l'ont montré Davies et coll. (1978), l'augmentation de la température rectale des patients anorexiques pendant un exercice à 65 % du VO2 max n'est pas aussi efficace que celle des groupes témoins en santé. Il a été suggéré (Mecklenburg et coll., 1974) que ne pas maintenir constante la température interne ci-dessus témoigne non seulement d'une faible isolation par le tissu adipeux sous-cutané, mais aussi un mauvais fonctionnement en l'hypothalamus.
De même, le risque d'hypothermie est élevé chez les enfants de petite taille. Comme nous l'avons déjà mentionné, en raison du rapport élevé entre leur surface et leur masse corporelles, le risque que ces enfants perdent rapidement de la chaleur corporelle dans l'eau est particulièrement élevé.
Gelures. Même si tout le monde peut souffrir de gelures sur toute partie du corps exposée au froid (surtout les joues, le menton, le nez et les oreilles), ou même sur les parties couvertes de vêtements (les doigts, les orteils, les mamelons et les organes génitaux masculins), certaines personnes sont plus prédisposées aux gelures que d'autres. Même s'il n'y a pas de données épidémiologiques sur la prévalence des gelures à différents âges,
en raison de leur meilleure vasoconstriction périphérique, les enfants sont probablement plus à risque de gelures que les adolescents et les jeunes adultes. De plus, chez certaines personnes, la circulation sanguine se fait mal, surtout dans les extrémités. Si ce problème prévaut surtout chez les adultes et les personnes âgées, certains adolescents, et tout particulièrement les adolescentes, l'ont aussi.
Bronchoconstriction. La bronchoconstriction est un autre problème de santé induit par le froid dont sont surtout victimes les patients asthmatiques. L'inhalation d'air froid augmente la perte de chaleur respiratoire, principal déclencheur de bronchoconstriction chez les enfants et jeunes asthmatiques qui font de l'exercice (Bar-Or, 1983). Un exercice intense amplifie considérablement cette perte de chaleur, car la ventilation augmente nettement.
CONSÉQUENCES PRATIQUES
Les effets éventuellement nocifs de l'exercice par temps froid sur la santé des enfants peuvent tous être évités. Voici les étapes à suivre pour y arriver :
l. Dans la mesure du possible, la température de l'eau devrait être plus élevée pour les enfants que pour les adultes (de 1 à 2 ºC ou de 33,8 à 35,6 ºF de plus).
2. Quand ils nagent, les enfants devraient pouvoir sortir de l'eau toutes les 15 à 20 min afin d'éviter l'hypothermie.
3. Les enfants de petite taille et ceux qui sont minces devraient faire l'objet d'une surveillance étroite.
4. Comme la sensation de froid est très désagréable, il est probable qu'un enfant qui a froid dans l'eau voudra en sortir. Il est toutefois possible qu'un jeune athlète très ambitieux ignore les signaux d'inconfort associés au froid et décide de rester dans l'eau tant qu'il n'est pas obligé d'en sortir.
5. Lors d'une séance de natation sur de longues distances et en eau froide, une couche de 1 à 2 mm de lanoline ou de gelée de pétrole devrait être appliquée sur la peau.
6. Utiliser plusieurs couches de vêtements secs pour les activités pratiquées à une température frôlant le point de congélation ou légèrement en dessous. Les doigts et les orteils devraient être bien protégés. Quand l'indice de refroidissement éolien est de -15 à -20 ºC (5 à -4 ºF) ou moins, le visage d'un enfant doit être couvert.
7. La bouche et le nez des enfants asthmatiques devraient être recouverts d'un masque chirurgical ou d'une écharpe lors d'un exercice par temps froid (10 ºC ou 50 ºF et moins). La poche d'air ainsi créée aidera à humidifier et à réchauffer l'air inspiré (Schachter et coll.
1981 ). Si inhaler par le nez plutôt que par la bouche augmente aussi le taux d'humidité et la température de l'air inspiré, respirer par le nez est difficile lors d'activités modérées et intenses, car il est alors ardu de supporter le débit élevé d'air.
8. L'enfant asthmatique devrait réduire l'intensité d'un effort physique à l'extérieur par temps froid.
RÉSUMÉ
Le rapport entre la surface et la masse corporelles des enfants étant plus élevé que chez les adultes, les enfants sont plus exposés que les adultes aux pertes de chaleur. Quand un enfant fait de l'exercice et qu'il fait froid (soit à une température aussi basse que 5 ºC ou 41 ºF), ce handicap est compensé par une meilleure vasoconstriction périphérique et une plus grande chaleur métabolique. Toutefois, quand l'enfant est immergé dans l'eau, la conductivité thermique élevée de l'eau entraîne par conduction des pertes très importantes de chaleur corporelle, ce qui peut provoquer une hypothermie, surtout si l'enfant est de petite taille ou mince. La vasoconstriction périphérique des extrémités étant meilleure chez l'enfant, le risque de gelures est plus élevé chez l'enfant que chez l'adulte. L'air froid exacerbe l'asthme induit par l'exercice.
References
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